mardi 30 juillet 2013

Jacques Abeille



                                                          MAIN-MISE 

Chaque nuit, le même rêve. Une cité lointaine, un dédale de rues, pavées de nuées et bordée
de murailles lépreuses, passages obscurs, décrochements sans issue, fenêtres barrées de grilles 
et portes closes. Et moi, pâle vapeur écorchée aux salpêtres, fantôme exsangue qui vous cherche 
encore, errant jusqu'à la nausée dans la grisaille muette de ce triste labyrinthe.

Tissé de vaine attente, mon rêve est opiniâtre. Il me traîne contre mon gré jusqu'à l'évidence de 
votre vilenie. En me quittant, vous avez dérobé le secret de mon souffle et la puissance de mon 
nerf. Chaque nuit vers mon ombre vous tendez une main à la douceur avide. Rognures d'ongles, 
brins de cheveux, lambeaux de linge imprégnés cousus ensemble dans un fantoche, on sait 
comment se noue un sort au ventre d'une poupée de terre.

Prenez garde au retour de vos charmes. Déjà s'ébat la blanche colombe de votre ventre. Vous 
m'avez envoûté et vous tombez sous l'emprise de vos songes fiévreux. Petite fille vicieuse,
vos jeux solitaires rendent à mon simulacre sa joie première. Demain, j'en tisserai un chant
d'où surgira l'image de votre nudité déclose.

Je vous ferai pleurer de bonheur sur les braises de votre cœur déployé.
                           
                                    Jacques Abeille, extrait de la Nouvelle Revue Moderne, août 2006.



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