samedi 21 septembre 2013

Aline Gagnaire, La femme à Fontana




 

DANS L'ATELIER D'ALINE GAGNAIRE
Dans l'atelier du peintre il y a du spirituel dans l'art et de la langue sauce gribiche qui fume et exhale.

Dans l'atelier du peintre qui est aussi une volière, il y a des pictogrammes qui prennent leur essor et planent comme une tentation récurrente de l'écriture.

Au 189, rue Ordener. Paris 75018. Escalier C. Atelier 37... il y a, ainsi que le faisait la fille de Nadja, des poupées à qui il convient de soulever les yeux afin de savoir ce qui se trouve derrière. Toujours derrière.
...
Les choses ont un cœur. Et la main au devenir oculaire très tôt s'en verra informée. La main aux mille yeux en latence. Tâtonnante. À l'aveuglette. Et cependant en passe de déchirer l'obscur. La main aux poils de martre, la brosse. Comme autant de membres supplémentaires à l'assaut de l'essentiel. La main au rouge sang. L'indigo. Pour que s'ouvre le rideau et qu'en guise d'introduction se profile Le Surréalisme anthropomorphe, et somme toute encore assez classique, des premières heures. Celles du temps des Réverbères. Et dans lequel, lucidité visionnaire de la dialectique oblique, en dépit des apparences (triste mot en ce pays), se trouvent déjà contenus Les Transparents de la fin du voyage.

Ils flottent, solitaires ou en grappes incertaines, ici et là, parfois troués de vagues regards et bien sûr comme leur nom l'indique : dépourvus du moindre soupçon d'épaisseur. Ils déambulent dans le vide amorphe ou tourbillonnant, visage absent, corps en sursis, impitoyables témoins de l'abandon des forces. Et par conséquent du sentiment de la mort qui à grands pas approche.

Dans l'atelier du peintre qui est encore et surtout un grand trou d'air où en rafales et nuées jaillissent, tourbillonnent et se percutent des tonnes de probables, une fois passée l'apaisante et si mémorable marche des Égyptiennes, il y a le cri. Le cri du clou. Le cri des tissus. De la matière sans cesse recyclée à l'ombre douce et pourtant ô combien tumultueuse de la bibliothèque.
Dans la grande manufacture aux souffleries infatigables d'où l'orfèvre ne sera jamais exclu il y a, palingénésiques, les heures qui défilent. En amont des expositions qui se succèdent. Des expositions qui s'espacent. Et c'est parfois et de plus en plus souvent l'oubli. Un critique (en vogue) y passe, promettant en guise de digestif quelque article qui évidemment ne viendra jamais. Mais qu'importe quand on est peintre. Mais qu'importe quand on est femme. Quand, à juste proportion jouant du spirituel comme de l’animal, soucieux de sa métamorphose, on est parvenu à irrévocablement se situer, insaisissable, dans cet ordre aux ramifications impromptues, séculaires, innombrables. À l’instar bien sûr de celles de l’arbre.

Dans l’atelier, surgi d’où, initié par qui, quand et comment ? Une puissance de racines, de branches et de feuillage. Un mystère. Une architecture superbe, iconoclaste, inspirée. Un élan si impérieux que tout jeu d’entraves, si abouti soit-il, ne saurait parvenir à endiguer son envol. Une insolence au scandale sans rupture, apte à alterner esthétisme et déchirure, brouhaha de fanfare ( à l’heure fienteuse où glapit la Mère Ubu) et longues songeries solennelles (les grands blancs encore). Une menace facétieuse. Prompte à soulever le plafond. À repousser la verrière, les murs. Une force aimable, un péril à l’humour omniprésent. Une fidélité à toute épreuve. Une obstination à, contre vents et marées, jouer la carte du vivant. Du grand vivant. Votre ami et alter ego, Aline, vous qui dans Face écriviez :
Les hommes ont oublié la joie,
cachés derrière leurs croûtes d’épines, mâchoires ouvertes,
langues ourlets de bleus et de peurs, et
moi je me promène dans le blanc de leurs yeux fixes, dans les pores de leur peau
absente d’amour, parcourant du doigt les arêtes montagneuses de leurs sourcils
soucis je me cale contre l’arête du promontoire de leur nez,
soucieuse de préserver cette seconde où je volerai leur visage
avant que leurs lèvres, pierres de sable mouvant, ne se figent en un cri blanc.
Afin plus que jamais aujourd’hui de nous dire ce qui se trouve derrière. Toujours derrière…

Jehan van Langhenhoven,  Talus n° 18 - novembre 2004.



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