samedi 3 août 2013

Jean-Pierre le Goff



I
ALLER À THOIRES (CÔTES D'OR)
L'esprit dans lequel j'avais conçu La sculpture aléatoire m'enjoignait, après sa réalisation à Genève, d'aller à Thoires. Mais que pouvais-je bien aller faire à Thoires? Je ne le sus pas sur le moment. Il m'apparut plus tard que c'était un excellent lieu pour fêter un anniversaire.

Quel anniversaire? Je ne le déterminai pas immédiatement. Puis, un jour il me prit de savoir combien de jours j'avais vécus depuis que je suis venu au monde. Je tombai sur un nombre peu éloigné de 21600. Remarquant que j'allais atteindre ce chiffrage qui m'importe, je pensais que ce jour méritait d'être fêté.

Je n'eus même pas à chercher comment le fêter puisque la réponse me parvint providentiellement dans les instants qui suivirent.

Très content d'avoir trouvé que j'approchais de mon 21600e jour, dans une appoggiature enthousiaste et comme parfois à la fin d'un morceau le chef d'orchestre ne contrôle plus sa baguette, je tapotai sur ma calculatrice quelques chiffres inconsidérés, que je multipliai par le nombre qui y était en mémoire et qui n'était autre que 216. Comme par un coup de baguette magique sortit le nombre 200016. Il me fallut quelques secondes pour que je comprenne que ma manipulation incontrôlée avait produit quelque chose de remarquable. J'étais bien incapable de dire quel nombre j'avais tapé, heureusement que je pouvais le retrouver en divisant 20016 par 216; 926 s'afficha sur l'écran. En tâtonnant, je sondais ce nombre par toutes les ouvertures que je pouvais y pratiquer. Voici le raisonnement qui porta ses fruits: si 926 multiplié par 216 produit le chiffrage de 216 accompagné de trois zéros entre le 2 et le 1, il est probable que ce même nombre multiplié par le nombre 926 répété à satiété produise un alignement de chiffres intéressants. Le résultat donnait 200216216216...etc. Mais, je trouvais mieux en multipliant 216 par 925925925....926, car chaque fois que l'on ajoute 925 à la succession, trois zéros s'ajoutent aux autres trois zéros entre 2 et 1. Exemple:

216 x 925925925926 = 200000000000016.

Les zéros s'enfilent imperturbablement d'une manière illimitée.

Il est peu croyable de voir apparaître sur l'écran d'une calculatrice, en une poignée de secondes, le nombre 216 dans lequel sont sertis trois zéros. Cela s'est passé ainsi. Je n'ai pu trouver aucune explication du passage de 216 à 200016 par l'intermédiaire de 926 et 925. Je crois que cette trouvaille peut porter le qualificatif d'aléatoire.

A la suite de la manifestation du nombre 200016, remonta dans ma mémoire le souvenir d'une impression que j'éprouvai sans doute à la période où j'apprenais à compter. Je pense que tout enfant l'a vécue, mais il n'y s'éternise pas, il sait qu'il ne pourra jamais résoudre l'énigme qu'elle présente. Cette impression, ou mieux ce vertige se manifeste lorsqu'on découvre que la succession des nombres n'a pas de fin, que l'esprit est incapable de lui donner une limite. On pourra passer sa vie à les énumérer, on aura à peine entamer leur comptage; on mourra plus près de rien que de la totalité. Je crois que c'est la première approche de l'infini que fait l'enfant et dans lequel il sait déjà que le signet de sa mort y est placé. On ne peut pas se mesurer avec ce qui n'a pas de mesure, aussi l'enfant, quotidiennement, oubliera l'inaccessible, bien que ce fil rouge trame inexorablement sa vie. J'ai retrouvé dans l'élastique illimité des zéros de 200016 le même vertige.

Fêter un anniversaire c'est fêter une perte, celle des jours évanouis. Je fêterai l'anniversaire de mon 21600e jour en soulignant l'insaisissable des jours, qui se reflète dans l'incommensurabilité des nombres, je m'appuierai sur l'exemple de l'exponentialité de 200016 pour l'illustrer.
Je n'ai pas encore dit quel jour sera mon 21600e. Je suis né le 2 août 1942, les calculs sont simples à faire, il suffit de ne pas oublier les années bissextiles. Le 20 septembre 2001 j'aurais 21600 jours.
J'irai ce jour là à Thoires pour prélever du nombre infini 200000000....0000000016 un échantillonnage de 216 zéros. La chose se pratiquera ainsi: dans un endroit du village, je déplierai une table de camping et une chaise de même acabit afin de pouvoir calligraphier sur un rouleau de papier l'opération.

216 X 925925....925926 = 2000000....00000016,
avec tous les chiffres nécessaires à l'apparition des 216 zéros. La longueur du rouleau sera de quatre à cinq mètres, l'opération durera entre une heure et deux heures. Elle pourra faire l'objet d'un constat qui sera établi sur le rouleau par le paraphe des personnes présentes.

Je ne vous ai pas encore précisé où se trouve Thoires. Thoires se situe dans la Côte-d'Or, entre Châtillon-sur-Seine et Montigny-sur-Aube. Le nombre de ses habitants est de 58, dit le Bottin des communes de 1994. Si vous vous voulez être présents, vous serez les bienvenus. Communiquez-moi alors votre intention..

Le débitage des zéros aura une signification similaire que l'enfilage de perles ou le lancer de dés. Ce ne sera peut-être pas la super fête à Thoires, mais il y aura au moins du champagne - les vignobles sont proches -. Il sera considéré comme superfétatoire de vérifier s'il y aura bien 216 bulles par coupe.

II

ALLER À THOUARS

Puisque l'attelage du nombre 925 et le postillon 926 amenaient le carrosse 216 sur la voie de l'infini, il m'appartenait d'ausculter d'un peu plus près les nombres 925 et 926. Voici ce qui se révéla; 

J'ai écrit 925 sous la forme de 900025, c'est-à-dire en glissant trois zéros en son sein, comme si ces trois ovules pouvaient, ainsi qu'il le fut pour 200016, le rendre gros de l'infini. Je l'ai divisé par 925 et j'ai trouvé un nombre rond:
900025 : 925 = 973.

J'ai vérifié si le même processus applicable à 216, pouvait lui aussi propulser 925 vers l'infini. L'opération le confirma:

925 x 972 972 972...972 973 = 9 000 000 000 000 25.

J'avais donc un nouveau couple de nombres: 972 et 973. Il convenait donc de procéder à la même opération:

900 072 : 972 = 926.
Je revenais à mon point de départ et je constatais que coexistaient deux opérations qui donnaient image de l'infini et de plus obéissaient à une construction en miroir.

La rencontre fut suffisante pour me décider à en rendre compte d'une manière qui réfléchirait celle que j'empruntais à Thoires dans la Côte d'Or.
J'irai donc à Thouars dans les Deux-Sèvres. Malheureusement, je ne pourrais pas attendre mon 92 500e jour et encore moins celui de mon 97 200e jour, j'aurais alors plus de 250 ans et tout me dispose à croire que je les atteindrais pas. Afin que le souvenir de mon intervention du 20 septembre 2001 soit encore frais dans les esprits, je pratiquerai celle qui lui fera écho 216 jours plus tard, c'est-à-dire le 24 avril 2002.
De même, je calligraphierai sur un rouleau chacune des deux opérations concomitantes en considérant que, pour conserver une continuité entre les deux illustrations de l'infini, je limiterai le nombre des zéros à 216.
925 x 972 972 ... 972 973 = 9 000 000 ... 000 000 25.

972 x 925 925 ... 925 926 = 9 000 000 ... 000 000 72.
J'ai souhaité réaliser mon défilement de zéros dans un lieu couvert. J'ai recherché l'hôtel des Grands Nombres à Thouars, il n'existait pas. Je me suis alors rabattu sur l'hôtel de la gare, qui est aussi une bonne appellation pour toute destination vers l'infini.

Si vous êtes disposés à voyager, vous pouvez me rejoindre...

Jean-Pierre Le Goff

(Extrait d'Épigraphie immobilière parisienne)
(source: http://remi.schulz.perso.neuf.fr/divers/legoff/aleatoire.htm


Jean-Pierre le Goff, Art portable (?)

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