« J’ai fait la connaissance de Virginia Tentindo en
1997, en rejoignant le comité de rédaction de la revue Supérieur
Inconnu, dont elle était membre. Je me souviens, lors de ma première
visite dans son atelier, en compagnie de Sarane Alexandrian, avoir été
saisi par la beauté convulsive de cet art, en prise directe sur
Merveilleux. Virginia nous a toujours accueillis avec une générosité
rare et une hospitalité toute argentine, telle une « prêtresse de la
Terre-de-Feu » au sein de son sanctuaire onirique, constitué de terres
cuites, de bronzes, de marbres, de sa faune et de sa flore, le tout,
sorti d’un imaginaire des plus fertiles. Cet atelier, l’écrivain
surréaliste José Pierre l’évoqua en 1986, comme « la fabrique des dieux
». Les sculptures de Virginia Tentindo, à la fois sensuelles et
terribles, associent des têtes de félidés avec des corps d’hommes et de
femmes, aux jambes qui se fondent en une seule, longue et flexible comme
un serpent. Ces humanimaux, tels que les appelle Sarane Alexandrian,
ont l’air de plantes carnivores. Il ne s’agit pas d’hybrides tels qu’en
fabriquent des artistes enclins à des effets insolites faciles, car
l’originalité de Virginia est justement de ne pas faire d’assemblages
arbitraires. Julio Cortázar a ainsi pu écrire (in Voyage vers un temps
pluriel) que chez Virginia Tentindo, « tout est ou peut être mandragore,
Gorgone, hermaphrodite, rite phallique, hiérogamie et pourquoi pas
épiphanie ». Car rien n’est donné sur un seul plan et la multiplicité
des essences est, pour plusieurs de ses sculptures, comme une invite à
s’approcher et à toucher ; alors on découvre que ces pièces ne
commençaient ni ne finissaient à leur contour visuel mais que le toucher
est là pour ouvrir une seconde porte basse. L’art de Tentindo n’est
jamais apparence mais toujours intériorité. On dirait, écrit encore
Cortázar, « que la nature s’interroge alors sur sa persistante monotonie
et cherche à travers l’art quelque chose de plus que l’imitation que
lui impartit Oscar Wilde, une rénovation capable de nous arracher à la
routine génétique. Là, tout est substitution, parachèvement et ouverture
vers de nouvelles constellations de formes. »
Virginia Tentindo est née à Buenos Aires en 1931. Ses grands-parents
sont des émigrés italiens qui s’étaient installés, comme tant d’autres
en Argentine, non pas par goût de l’exotisme, mais pour des raisons
multiples, dont l’exode d’une partie de la population du royaume des
Deux-Siciles, Adolescente, elle fréquente les quartiers populaires de
Buenos-Aires. Depuis son enfance, elle accompagne sa mère et son père
dans les bals de nuit. La musique et la danse (surtout) joueront un rôle
important dans sa vie comme dans son travail, qu’elle définira comme «
une pratique du corps dans l’espace ».
Le père de Virginia est violoniste dans un orchestre de tango.
Virginia Tentindo accomplit sa formation aux écoles Manuel Belgrano,
Prylidiano Pueyrredon et Ernesto de la Cracova, avant de réussir le
concours d’entrée et de suivre avec succès les cours de l’Ecole
Supérieure des Beaux-Arts. A sa sortie des Beaux-Arts, Virginia Tentindo
loue dans le centre de Buenos Aires, avec une amie de dix ans son
aînée, un entresol qui a l’avantage de posséder un four et deux vitrines
donnant sur la rue, pour exposer ses sculptures. C’est ainsi qu’à l’âge
de dix-huit ans, soit deux ans après avoir exposé en 1947 ses œuvres
pour la première fois dans la Galerie Peuser, elle put ouvrir sa propre
galerie, baptisée du doux nom de Vahiné. Pour rentabiliser l’affaire,
outre l’exposition de ses œuvres et de celles de ces collègues de
l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts, la jeune artiste donne des cours de
modelage. Virginia ressent le besoin de s’assumer dans l’exil, que le
tango chante et danse. Avant de quitter son pays, elle présente ses
sculptures et ses gouaches dans la Galerie Krayd en 1952 dans une
exposition argentine intitulée « Huit Jeunes Artistes Surréalistes ».
En 1953, elle quitte Buenos Aires avec ses amis Osky (le plus grand dessinateur de B.D. des années 50) et sa femme Ruth Varansky. Virginia Tentindo rejoint Naples en passant par Gênes, où se trouve une partie de sa famille. Durant son séjour à Naples, elle approfondie ses connaissances de la céramique et apprend la technique des émaux à Vietri sul Mare. Néanmoins, son désir est de venir s’installer en France. En septembre 1953, Virginia Tentindo arrive à Paris. L’émigrée argentine y est mal accueillie. Le combat commence et tout d’abord pour subsister : elle modèle des objets en terre cuite et travaille au noir dans des conditions difficiles, avant de regagner le soir une chambre sans électricité ni confort. Ce combat, elle le mènera seule durant dix ans. Puis, en marge de divers travaux, comme celui de décorer des boîtes à bonbons pour la maison Fouquet, Virginia Tentindo devient la secrétaire (assistante documentaliste) du poète surréaliste Philippe Soupault, pour qui il fait notamment des recherches dans les bibliothèques. Virginia Tentindo retrouve à Paris son amour de jeunesse : le peintre surréaliste gréco-argentin Juan Andralis (1927-1994). Deux ans plus tard, en 1955, elle retrouve également le peintre et sculpteur argentin Julio Silva, qu’elle épousera en 1959 et avec lequel elle aura deux enfants : Olivier et Stella.
En 1960, Virginia élargit le spectre de son art, en devenant
créatrice de personnages en petit format (30 cm), grâce au cinéaste Abel
Gance, qui pour son film Austerlitz, lui commande cinquante
sculptures de figurines, d’après Le Sacre de Napoléon (1805-1807) du
peintre Jacques-Louis David. Neuf plus tard, en 1969, elle réalisera les
poupées du remarquable film de Nelly Kaplan, La Fiancée du pirate.
Le couple Silva-Tentindo installe un atelier dans la maison familiale
et travaille de concert à des œuvres graphiques, des travaux
publicitaires et des illustrations diverses. Mais bientôt, après
plusieurs périodes de turbulences, le couple se sépare définitivement.
Virginia reprend son indépendance et doit assumer seule sa subsistance
et celle de ses deux enfants. C’est ainsi qu’elle entame une carrière de
graphiste et de maquettiste pour différents éditeurs dont le magazine Science & Vie.
En 1974, Virginia Tentindo s’installe à Pietrasanta, en Toscane, où
elle apprend à travailler le marbre, à Torano près des célèbres
carrières de Carrare. Dans les fonderies de Pietrasanta, puis de
Bologne, elle commence à réaliser ses bronzes. En 1979, Virginia
Tentindo installe son atelier au célèbre Bateau-Lavoir, à Montmartre
dans le 18e arrondissement de Paris. Ce dans ce lieu que va travailler
Virginia, tout comme l’un de ses amis, le peintre surréaliste hongrois
Endre Rozsda. Dès lors, son œuvre, saluée et admirée par des
personnalités aussi exigeantes que Nelly Kaplan, Julio Cortázar, Dolfi
Trost, Théodore Brauner, José Pierre, Pierre Alechinsky ou Sarane
Alexandrian, sera présentée dans de nombreuses expositions
internationales, collectives et personnelles (130 expositions à 2013).
En 2011, l’Université de Florence et l’Accademia delle arti del
disegno, avec le concours de l’Institut Français de Florence et du
Centre de recherche sur le surréalisme, lui ont consacré un colloque,
sous le titre de : « Les Chimères surréalistes de Virginia Tentindo »,
en même temps qu’une rétrospective, « Virginia Tentindo, Sculptures,
Dessins », à l’Accademia delle arti del disegno. A cette occasion, fut
projeté le film de Fabrice Maze et Jean-François Rabain Minimes Innocences
consacré à Virginia Tentindo, soit à l’inventrice d’un monde dominé par
le mythe, la poésie et l’érotisme ; un monde onirique qui ne cesse
d’explorer davantage, toujours davantage, tant la matière que les
arcanes de l’être, tout en prolongeant le surréalisme, dont elle est en
sculpture l’une des représentantes, comme l’a écrit Françoise Py et
avant elle, José Pierre (in L’univers surréaliste, Somogy, 1983).
El fuego ! C’est cela Virginia Tentindo, le tango du Feu de
la vie et de la passion ; le Feu du désir et de la poésie ; le Feu de la
métamorphose et celui de l’alchimiste qui, de son Athanor, ressort de
l’or émotionnel en terre-cuite : un Chat d’octobre ou une Lionne des jours Terre-Lune. Virginia aux mains de flamme sculpte le feu sous la cendre. »
Christophe Dauphin
(Revue Les Hommes sans Epaules).
http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Virginia_TENTINDO-540-1-1-0-1.html